04. décembre 2023

De l’étudiant à prisonier L’expérience de 3 semaines à la MACO - L'Œil des jeunes

L’histoire, vous la connaissez par cœur. Le 29 juillet 2013, les étudiants résidants des cités universitaires ont reçu l’ordre de libérer leurs chambres dans toutes les cités universitaires du Burkina et ce à compter du 1er août 2013 pour les motifs de réfection selon l’administration. Cet ordre a immédiatement fait l’objet d’une fin de non-recevoir de la part de ces résidants.
La suite, on la connaît également. Quarante et un (41) étudiants arrêtés dont une fille. Ces étudiants ont séjourné pendant trois semaines à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO). C’est finalement le 23 août 2013 que ces derniers ont bénéficié d’une liberté provisoire par la cour d’Appel de Ouagadougou à travers une décision « avant dire droit »
De l’étudiant au prisonnier, de la chambre en cité à la cellule de la MACO, la vie n’est certainement pas la même.
Pour en comprendre davantage, nous avons approché quelques-uns d’entre eux pour recueillir leurs témoignages sur ce séjour à la MACO mais la majorité n’a pas voulu se prononcer sur cet évènement qu’elle qualifie de « douloureux ».
Deux d’entre eux ont accepté de se prêter à notre micro. En attendant de mener des enquêtes pour comprendre pourquoi ces étudiants dans leurs majorités ne veulent plus se prononcer sur cet évènement, suivons attentivement le témoignage de nos deux amis.
Moi Salif SIEMDE j’ ai été arrêté au parking de la cité universitaire de Kossodo alors même que je soufrais de mes blessures d’un accident que je venais de faire la veille avec mon frère gendarme qui, après m’avoir descendu en cité ce jour là, avait dit qu’il viendrait me chercher le lendemain pour que je parte rester chez lui en attendant mon rétablissement.
Le 1er Août 2013, à 10 h, j’étais assis au parking jusqu’à 14 h et à 15 h, la CRS est venue commencer à lancer les gaz lacrymogènes et comme je ne manifestais pas, je me suis dit que ce n’était pas la peine de courir, je suis donc resté à ma place.
J’étais assis avec 03 filles blessées au parking, la porte fermé derrière nous, elles esseyaient de laver leur blessure. Comme les gens escaladaient le mur du parking, le commandant de la CRS a donné l’ordre de vider le parking en m’ordonnant d’ouvrir la porte du parking. Je me suis exécuté et lorsqu’il ma vu fumer de la cigarette, il a dit que c’est moi qui ai brûlé les véhicules. J’ai tenté de lui expliquer mais sans chercher à comprendre, il a commencé à me frapper et c’est comme ça que je suis arrivé à la MACO.
Mais avant d’être embarqué dans leur véhicule, il m’a ordonné de mettre de l’essence sur les motos qui se trouvaient au parking et de les brûler par ce que c’était pour des étudiants. J’ai refusé et il a commencé à me frapper. Il a fait sortir les trois filles, les faire coucher sous le véhicule que le chauffeur était entrain de ronfler. Sur place, toutes les filles ont uriné et il leur a dit de partir […] c’est dans ces conditions qu’ils m’ont pris et ils ont fait le tour de la cité avec moi et à chaque fois qu’ils voyaient un véhicule brûlé, ils s’arrêtaient pour me frapper.
De mon coté (Seydou SANOU), j’étais dans ma chambre à la cité universitaire de Kossodo quand la CRS est venue. Quand je suis sorti, j’ai tenté de contourner le Bâtiment “B” pour aller vers le Bâtiment “A” dans l’objectif de rejoindre les camarades vers EBOMAF mais la CRS avait déjà encerclé la cité.
Arrivé vers le restaurant universitaire, j’ai vu deux cargos qui y étaient et ses occupants m’ont pourchassé. Je voulais revenir vers la cité mais il y avait un troisième cargo qui m’a intercepté. C’est dans ces conditions que j’ai été arrêté et j’avoue que les conditions d’arrestation étaient des plus violentes et des plus barbares. Quand je suis monté dans le véhicule, ils m’ont allongé dans le véhicule et tout les occupants me piétinaient de la tête au pieds en utilisant des termes tels que : « on a eu des oiseaux». J’ai été allongé de telle sorte que celui qui était au dehors du véhicule ne pouvait pas savoir qu’il y avait quelqu’un dedans […] et arrivé au camp CRS à Wayalguin, ils nous ont frappé avec des cordelettes. Ils nous ont fait déshabiller exceptées nos culottes et ils nous ont enfermé dans les cellules. C’était en période de jeûne et quand l’heure de la prière est arrivée, un de nos camarades a demandé à prier et il a été battu jusqu’à ce qu’il pousse des cris, tout simplement parce qu’il a demandé à prier. […]

Il faut aussi noter que du 1er au 02 Août, période de notre détention au camp CRS à Wayalguin, nous n’avons pas eu à manger. C’est donc à la suite des plaintes de certains étudiants qui avaient jeûné et qui n’ont même pas pu rompre le jeûne, qu’ils nous ont apporté un seau d’eau avec un gobelet aux environs de vingt heures (20h) pour que les uns et les autres puissent étancher leur soif. Il a fallu attendre le lendemain après notre retour du palais de justice pour les formalités d’usages que chacun de nous a pu bénéficier d’un quart lA de pain de sandwich et un sachet d’eau de vingt cinq francs 25f et c’est avec ça dans le ventre que nous sommes allés à la MACO.
Pour notre traitement, on se croirait dans une guerre civile. Ils nous ont frappé avec les matraques et les cordelettes, torturés, et quand je leur ai montré ma blessure causée par l’accident que j’ai fait le 31 juillet, c’est dans la plaie même que le policier à frappé en disant que nous sommes des délinquants […]

Le véhicule dans lequel j’étais, le chauffeur a eu pitié de moi et il a dit au commandant qu’il faut qu’il me trouve de l’eau sinon, le gaz que j’ai aspiré est dangereux mais le commandant a rétorqué en disant que : « Il n’a qu’a mourir, pas question de lui apporter de l’eau. » […].

Par la suite, le chauffeur m’encourageait en disant que c’était juste pour quelques temps et que ça va aller. Il me disait même que ceux que eux ils voulaient là ce n’étaient pas nous mais comme il fallait qu’ils emmènent des gens, c’est pourquoi ils nous ont pris sinon eux-mêmes reconnaissent que nous ne sommes pas les faiseurs des troubles. Quand au commandant, il me frappait à chaque fois que le véhicule s’arrêtait auprès d’une voiture incendiée.
Le 02 Août 2013, nous avons été conduits à la MACO à 17 heures avec le véhicule de la CRS comme des prisonniers mais pas menottés […]

Quand on est arrivé à la MACO, la Garde pénitentiaire a crié en disant, envoyez nous ces gibiers. Quand on est descendu du véhicule de la CRS, il a commencé à pleuvoir sur-le-champ et j’ai dit à Sanou Saydou que nous sommes des soldats de Dieu. Je lui ai dit que Dieu même nous encourage en envoyant cette pluie.
Après les formalités d’usages, nous avons été conduits au bâtiment annexe, le bâtiment des grands criminels. Nous avons été envoyés dans des cellules sans fenêtres et nous étions repartis à 13 personnes par cellules […] dans quatre cellules. Je ne souhaite même pas à mon ennemi le bâtiment annexe de la MACO où nous avons passé une semaine.
En une semaine, toute la peau de mon corps ressemblait à la peau de la paume […]. Il n’y avait pas d’hygiène. Les WC sont dans les cellules et ils sont sans portes ni rideaux. Vous imaginez ! On n’arrivait pas à dormir les nuits.

Parmi nous, il y avait un élève de la 3è et ce dernier passait tout son temps à pleurer et on est souvent obligé de pleurer avec lui car il faisait trop pitié Tout le monde a maigri car on imaginait pas qu’on allait passer assez de temps à la MACO.
Quand aux moustiques, on en parlait même pas. Nous les avons ignoré, on dormait sans couvertures ni moustiquaires […]. Dans le bâtiment annexe, il y a eu 27 malades parmi nous Tellement les étudiants ne supportaient pas les conditions de détention dans ces cellules de l’annexe et les médicaments disponibles à l’infirmerie de la MACO étaient les paracétamols uniquement. La multiplication des cas de maladie a obligé notre transfert dans le quartier des mineurs où la salle est plus aérée par rapport aux autres cellules […].

Au quartier des mineurs, c’est dans une grande salle que nous avons été parqué. Les mineurs étaient d’un côté, les étudiants de l’autre […]

Malheureusement, la mésentente qui régnait entre nous-mêmes étudiants en cellule à fait que nous n’avions pas pu faire face à la situation en bloc, il y avaient certains qui proposaient qu’on adresse une lettre au Mogho Naaba et au Président du Faso et d’autres ont estimé qu’on ne se reprochait pas de quelque chose et donc, qu’on n’avait pas à supplier qui que ce soit. Ce qui a crée une espèce de tension entre les étudiants […].

Quand il s’agissait de nous conduire au palais de justice pour un procès, c’était à 2 heures du matin qu’on nous réveillait sous prétexte que cela permettait d’éviter les étudiants qui pourraient perturber le trajet du véhicule qui nous contenait.
Curieusement je n’ai pas paniqué un seul instant, pas du tout. La prison m’a réconforté dans ma conviction qu’il ne faut pas avoir peur face à la vérité et s’il y avait à le refaire, moi je n’hésiterais pas.
Mais quand à l’impact que mon séjour à la MACO a eu sur moi, ça me suit jusqu’à présent.
A chaque fois que je vois le véhicule calciné sous le karité au niveau de la cité universitaire de Kossodo, je revois la MACO et ça m’attriste.
Nous n‘avons pas été violentés à la MACO mais on préférait la violence au silence que nous avons subi à la MACO […]

Heureusement que mon père ma encouragé à ma sortie de la prison en me disant que je n’ai pas volé et que j’ai juste lutté pour mon propre bien , que l’injustice est inévitable souvent dans la vie et que c’était mon cas.
De mon point de vue (Seydou SANOU), s’il faut se venger, ce n’est pas dans l’esprit vindicatif au sens strict du terme mais de faire en sorte que le système néocolonial change pour que ceux qui viendront puissent prendre en compte l’intérêt général du peuple. C’est à cela que l’on pourrait parler de vengeance.
S’il y a des structures à remercier, moi personnellement j’exprimerais ma profonde gratitude au MBDHP, à l’ANEB, qui nous ont beaucoup soutenu en nous apportant à manger deux fois par jour durant notre séjour à la MACO. Nous remercions également les avocats qui nous ont défendu et qui nous ont permis d’être libéré. Nous n’oublierions pas  également l’ensemble des étudiants qui se sont mobilisés tout au long de notre détention jusqu’à notre libération. Nous avons également une pensée particulière à l’endroit du Monseigneur Philippe OUEDRAOGO qui a effectué le déplacement à la MACO pour nous rendre visite avec des propos encourageants. Et cela nous a réconforté sur le plan psychologique. C’est un Monsieur de grand cœur. […]

Nous remercions également l’ensemble des médias qui ont permis à ce que les gens puissent comprendre ce qui s’est passé réellement.
Nous n’oublions pas aussi (Salif SIEMDE) le régisseur de la MACO, le chef de sécurité et le contrôleur qui nous ont soutenu moralement.
Aux autorités de mon pays, je leur dirais qu’il faut revoir les conditions de l’alimentation à la MACO car c’est aussi des êtres humains comme les autres. Les conditions d’hygiène et d’alimentation à la MACO sont des plus déplorables qu’il faut vraiment améliorer […].

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